Photo : Chandra Shekhar Karki/CIFOR
Le CIPRED travaille avec les communautés autochtones du Népal, qui ont été déplacées de leurs terres ancestrales au nom des parcs nationaux, des réserves de faune et de flore et des zones de conservation, afin d'amplifier leurs voix critiques, qui doivent être entendues par les agences compétentes, notamment le Département des parcs nationaux et de la conservation de la faune et de la flore (DNPWC) au Népal. Malgré l'adoption par le Népal d'une structure fédérale qui accorde davantage de pouvoirs aux gouvernements locaux, la loi de 1973 sur les parcs nationaux et la conservation de la vie sauvage (National Parks and Wildlife Conservation NPWC Act) reste inchangée et continue de promouvoir la conservation en forteresse. En conséquence, le déplacement, l'expulsion et la migration des populations autochtones de leurs terres ancestrales se poursuivent. Ces communautés, autrefois prospères grâce à l'abondance des terres et des ressources nécessaires à la subsistance de leurs familles, comptent aujourd'hui parmi les plus pauvres et sont souvent contraintes de chercher un emploi dans les villes voisines ou à l'étranger. Cette situation a des effets dévastateurs sur la survie des systèmes coutumiers d'autogestion des peuples autochtones, qui sont essentiels à la préservation de leurs connaissances traditionnelles, de leurs valeurs culturelles et de leurs moyens de subsistance durables.
Le CIPRED travaille activement avec les communautés indigènes Tharu dans le parc national de Shuklaphanta, le parc national de Bardiya, la réserve naturelle de Koshi Tappu et les communautés indigènes Loba dans la zone de conservation de l'Annapurna au Népal. Le peuple Tharu, l'un des plus grands groupes indigènes du Népal, représente 6,2 % de la population. Cependant, de nombreuses communautés Tharu ont été gravement affectées par la création de parcs nationaux et de zones de conservation de la faune et de la flore, qui ont perturbé leur capacité à maintenir leurs moyens de subsistance traditionnels dans ces zones protégées. En conséquence, elles sont confrontées à de nombreux défis pour maintenir leurs systèmes de gouvernance coutumiers, leurs valeurs spirituelles et leurs pratiques culturelles. Déplacés de leurs terres ancestrales, ils sont contraints de vivre dans des campements éloignés, avec peu ou pas de terres agricoles, ce qui les oblige à lutter pour leur survie et à vivre au jour le jour. Chaque jour, les communautés Tharu vivent sous la menace constante d'attaques d'animaux sauvages, en particulier de tigres et d'éléphants. Il est tragique de constater qu'un nombre croissant de personnes sont mortes à la suite de ces attaques alors qu'elles travaillaient dans des fermes ou qu'elles ramassaient du fourrage dans les zones tampons, souvent sans recevoir de compensation équitable pour leurs pertes.
Le CIPRED a mené des recherches approfondies et s'est documenté pour recueillir les expériences vécues et les récits des communautés autochtones, en se concentrant sur des thèmes clés tels que les territoires et les ressources foncières, la gouvernance coutumière, les droits de l'homme, les connaissances traditionnelles, les pratiques culturelles, la participation significative, le consentement libre, préalable et éclairé, et les moyens de subsistance. Ces informations ont permis de soutenir la défense de politiques fondées sur des données probantes aux niveaux local et national, en promouvant une conservation basée sur les droits qui reconnaît les institutions coutumières, assure l'accès aux ressources, soutient les moyens de subsistance traditionnels, établit des mécanismes équitables de partage des bénéfices et garantit une compensation juste. En outre, le CIPRED a œuvré à l'autonomisation des anciens, des jeunes et des femmes autochtones, en renforçant le maintien de leurs institutions coutumières, de leurs compétences artisanales traditionnelles et de leurs entreprises autochtones. L'initiative a également impliqué des étudiants du programme de maîtrise en éducation et développement indigène (MIED) de l'université de Katmandou, qui ont participé à une étude de recherche sur la conservation basée sur les droits, abordée à travers les visions du monde indigènes, dans nos zones de projet.
Le CIPRED a organisé 20 formations et ateliers qui ont considérablement sensibilisé 733 chefs autochtones, jeunes, femmes et organismes concernés au rôle crucial des systèmes de gouvernance coutumière autochtones, en soulignant la nécessité de les promouvoir, de les protéger et de les reconnaître aux niveaux local et national. Grâce à ces activités, les dirigeants et les jeunes autochtones ont acquis la passion et la détermination nécessaires pour préserver leurs valeurs et leurs pratiques traditionnelles, en plaidant pour leur inclusion dans la réglementation et les plans de gestion prévus par la loi sur le DNPWC, malgré les défis permanents posés par le modèle de conservation de la forteresse.
Le projet a également organisé un dialogue au niveau national sur la conservation fondée sur les droits, réunissant 113 participants de 35 organisations différentes, représentant les peuples autochtones et les communautés locales. Ce dialogue a débouché sur un document de position commune des peuples autochtones et des communautés locales, qui a joué un rôle essentiel en influençant le gouvernement pour qu'il abandonne une nouvelle loi controversée qui aurait permis le développement d'infrastructures dans les zones protégées.
Dans le cadre de cette recherche, une enquête exhaustive auprès de 1 995 ménages, 45 discussions de groupe, des entretiens avec des informateurs clés et 20 études de cas ont été réalisés, qui sont actuellement compilés en vue d'une diffusion plus large à différents niveaux. En outre, le CIPRED a publié un manuel de formation sur les systèmes de suivi et d'information communautaires (CBMIS), destiné spécifiquement aux jeunes et aux femmes autochtones, afin de leur donner les moyens d'assurer un développement durable et autodéterminé et de vivre dans le respect et la dignité dans leurs propres paysages. La documentation de ces résultats de recherche, détaillant la situation actuelle et les principales préoccupations des communautés, est devenue la base d'un plaidoyer politique fondé sur des preuves pour aborder les problèmes auxquels sont confrontées les communautés autochtones.
Le CIPRED a également engagé 11 étudiants du programme de maîtrise en éducation et développement autochtones (MIED) de l'université de Katmandou dans une recherche sur la conservation fondée sur les droits à partir des visions du monde autochtones. Leur travail a été présenté lors de la Conférence internationale sur la recherche et l'éducation des autochtones, organisée par le CIPRED en 2024, offrant ainsi à leurs efforts une plateforme mondiale de visibilité et d'impact.
Le modèle de conservation-forteresse, ainsi que défini par la loi NPWC de 1973, reste l'une des principales difficultés qui empêchent les Peuples autochtones du Népal d'accéder à leurs ressources et de maintenir leurs systèmes de gouvernance traditionnels, leurs moyens de subsistance, leurs connaissances et leurs pratiques culturelles. En conséquence, de nombreux autochtones Tharu, surtout des jeunes et des femmes, n'ayant guère d'espoir de voir leurs compétences et leurs moyens de subsistance traditionnels perdurer, se voient de plus en plus contraints de quitter leurs communautés pour aller dans les villes ou à l'étranger en quête de revenus pour subvenir aux besoins de leurs familles.
Malgré quelques avancées dans la reconnaissance des systèmes de gouvernance coutumiers par des législations locales, d'importantes difficultés persistent. Les dispositions des lois coutumières de Badhgar et de Bhalmansa, qui s'appliquent aux communautés Tharu des districts de Bardiya et de Kanchanpur, n'ont pas la force juridique nécessaire pour leur garantir l'autodétermination sur les ressources. De même, les systèmes de gouvernance coutumiers Jewar Menjan des communautés Tharu dans les districts de Saptari et d'Udayapur sont sur le point de disparaître, malgré les efforts inlassables de jeunes et d’anciens pour les animer et les faire reconnaître dans les législations locales.
La prise de conscience vis-à-vis de la contribution et du rôle essentiel que jouent les Peuples autochtones, leurs institutions coutumières et leurs valeurs culturelles dans la préservation de la biodiversité, la gestion des ressources et la promotion du développement, reste à ce jour trop limitée parmi les organismes publics compétents et les principales parties prenantes. Cette méconnaissance continue d'entraver l'accès des Peuples autochtones à des mécanismes équitables de partage des avantages, aux ressources et à la reconnaissance de leurs institutions coutumières au sein de leurs territoires ancestraux.